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Ni porte-parole, ni leaders, portraits des huit visages des « gilets jaunes »

Ni porte-parole, ni leaders, portraits des huit visages des « gilets jaunes »

Plusieurs protestataires, souvent à l’origine du mouvement, ont une influence et contribuent, par leurs mots d’ordre, à lui donner sa physionomie. Enquête sur leurs origines, leurs déclarations et leurs comptes Facebook.

« Rapporteur », « messager », « leader », « porte-parole », aucun mot ne leur convient vraiment, tant il est difficile de se dire représentant d’un mouvement protéiforme qui n’accepte aucune hiérarchie ni délégation. Depuis trois semaines, une dizaine d’hommes et de femmes se relaient pourtant sur les barrages, les plateaux de télévision et surtout sur Facebook pour incarner le mouvement des « gilets jaunes ». Certains ont parfois milité dans des partis ou des syndicats mais la majorité d’entre eux se dit « apolitique », la moindre affiliation paraissant immédiatement suspecte dans un mouvement qui se veut horizontal et sans chef.

Cela n’empêche pas certains d’entre eux de tenir des discours très déterminés où les revendications sur le pouvoir d’achat, à l’origine des manifestations, s’accompagnent désormais de discours anti-immigrés et d’une contestation des représentants élus et de la Ve République. C’est ce dernier point qui divise aujourd’hui, au moins en deux courants, les initiateurs de ces « gilets jaunes » si difficiles à saisir. Les interroger, écouter les mots d’ordre diffusés sur les ronds-points, remonter les posts Facebook parfois franchement complotistes de ceux qui paraissent les plus influents – aucun d’entre eux n’a jamais été désigné par un vote, fût-il en assemblée générale – permet de mesurer l’ampleur de la crise. Et offre la physionomie désordonnée d’une contestation inédite, à la veille du quatrième samedi de manifestations à Paris et dans toute la France.

Eric Drouet, 33 ans, chauffeur routier, Melun (Seine-et-Marne). Le mouvement des « gilets jaunes » est né le 17 novembre, des discussions dans son club de passionnés de voitures, le Muster Crew. Rarement vêtu du fameux gilet fluorescent sur les plateaux télé ou lors des vidéos qu’il poste régulièrement sur « La France énervée », son compte Facebook, suivi par un peu plus de 46 000 personnes, il est l’un des leaders les plus déterminés.

C’est là qu’il a annoncé qu’il ne se rendrait pas à Matignon, malgré l’invitation d’Edouard Philippe – « premier ministre ou pas, je m’en tape le cul par terre » –, et a appelé à manifester chaque samedi à Paris. Il y partage aussi bien l’interview de soutien aux « gilets jaunes » d’Olivier Besancenot à « On n’est pas couchés », sur France 2, que des vidéos complotistes faisant état d’un Pacte mondial sur les migrations visant à « abolir les frontières aux immigrés » et à promouvoir « le mélange racial » au profit d’un « super gouvernement mondial ».

Mercredi, sur le plateau de BFM-TV, il a appelé à la « destitution » du président de la République et affirmé que « samedi, si on arrive à l’Elysée, on rentre dedans ! » Pour se conforter, il a dès le lendemain lancé un sondage sur son compte Facebook avec cette question : « Vous trouvez que j’ai été trop trash en disant qu’on irait à l’Elysée ? » Fort des 7 736 « non » (contre 628 « oui »), il précise simplement dans une nouvelle vidéo « je ne suis pas un anarchiste » et explique qu’il ira manifester samedi près de l’Elysée « dans le calme ».

Priscillia Ludosky, 33 ans, micro-entrepreneuse (vente de produits cosmétiques en ligne). Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne). Initiatrice de la pétition « Pour une baisse des prix du carburant à la pompe » qui a recueilli plus d’un million de signatures, elle est partie pour une quinzaine de jours aux Etats-Unis, mais continue de communiquer avec Eric Drouet et le compte La France en colère, « le seul site officiel » des « gilets jaunes », précise-t-elle.

Méfiante, elle écarte systématiquement des porte-parole tous ceux qui sont ou ont été « affiliés à un parti ». Mardi, dans un long communiqué, elle expliquait qu’« organiser des élections de représentants dans chaque région va être trop compliqué et surtout très propice à de nouvelles tentatives de récupération. (…) Nous pensons qu’il n’est pas inapproprié de désigner nous-mêmes [c’est-à-dire Eric Drouet et elle-même] des partenaires de confiance. »

Elle a proposé jeudi un vote en ligne autour de quatre propositions : la mise en place de référendums d’initiative populaire, la création d’une assemblée citoyenne, la baisse du pourcentage de toutes les taxes relatives aux produits de première nécessité, et la réduction significative des salaires du gouvernement, suppression des privilèges et contrôle des notes de frais, propositions qui seraient ensuite soumises à référendum.

Maxime Nicolle alias « Fly Rider », 31 ans, intérimaire, Côtes-d’Armor. On l’a remarqué dès le 20 novembre sur le plateau de Cyril Hanouna, avec sa barbe rousse et sa casquette à l’envers, où il appelait – déjà – à la destitution d’Emmanuel Macron. Proche d’Eric Drouet et de Priscillia Ludosky, ses vidéos Facebook comptent parfois plusieurs centaines de milliers de vues.

Mercredi, il annonçait son rapprochement avec Etienne Chouard, blogueur complotiste qui avait fait ses premières armes lors de campagne référendaire sur la Constitution européenne, en 2005. Le même jour, il a organisé à Nice une conférence de presse avec Philippe Argillier, un ancien patron de boîte de nuit, convaincu « qu’il existe un monde parallèle, très parallèle. Je le qualifierais peut-être de gouvernement très officieux. »

« Fly Rider » a par ailleurs largement relayé la rumeur selon laquelle Emmanuel Macron s’apprêterait, en signant le pacte de Marrakech, « à vendre la France à l’ONU et à accepter l’arrivée de 480 millions d’immigrés en Europe ».

Jeudi, il conseillait dans une vidéo d’accumuler la nourriture « non périssable en cas de coupure d’électricité, faire bouillir l’eau, sécuriser vos maisons pour éviter les pillages » et lançait un appel à « l’armée, aux gendarmes, aux CRS : vous avez le droit, vous avez l’obligation de défendre le peuple contre ce gouvernement. Le peuple ne lâchera rien. »

Steven Lebee, 31 ans, allocataire du RSA, Haute-Savoie. Organisateur du barrage à la sortie du tunnel du Mont-Blanc, il fait partie des trente-cinq porte-parole désignés par Eric Drouet et Priscillia Ludosky avec lesquels il s’accorde chaque jour en visioconférence.

« On essaie d’éviter toute récupération politique, explique-t-il, et d’ailleurs, si un porte-parole avait un passé politique ou syndical, il serait lynché tant le divorce est important. » Il note que « la revendication sur le seul pouvoir d’achat a été dépassée dès le quatrième jour du mouvement » et « qu’une énorme majorité des Français sont pour une VIe République ».

Jacline Mouraud, 51 ans, hypnothérapeute, Morbihan. Sa vidéo où elle protestait contre les taxes sur le carburant, vue plus de 6 millions de fois, a fait d’elle la première égérie du mouvement, mais elle avoue qu’il « échappe aujourd’hui aux gilets jaunes eux-mêmes ».

Assurant qu’elle reçoit « des menaces de mort » qui l’ont dissuadée de se rendre à Matignon, la semaine dernière, elle s’est dissociée d’Eric Drouet et a signé avec neuf autres un appel à la modération publié dans le Journal du dimanche, le 2 décembre avant de rejoindre un nouveau groupe, « les gilets jaunes libres ».

Véhémente au départ, elle paraît désormais presque modérée et semble parfois s’inquiéter de la radicalisation des manifestants. « On augmenterait leur smic, ils seraient encore en colère et je ne sais plus quelles sont les mesures qui permettront une sortie de crise », reconnaît-elle tout en refusant d’appeler à ne pas manifester à Paris, samedi.

Benjamin Cauchy, 38 ans, chargé de clientèle pour Groupama, Haute-Garonne. Etudiant à l’université à Lille, il militait à l’UNI, syndicat de droite, puis a été élu pendant trois ans au conseil municipal de Laon sous l’étiquette UMP. Aujourd’hui installé à 25 kilomètres de Toulouse, il affirme que « peu à peu s’est insinuée, au milieu des revendications fiscales, cette histoire de référendum, de VIe République et toute la sémantique de La France insoumise, avec l’infiltration de syndicalistes de SUD et de la CGT ».

Les « gilets jaunes libres », dont il fait désormais partie, sont clairement à droite, mais aussi moins contestataires des institutions. « Destituer Macron, supprimer le Sénat, c’est n’importe quoi. Avec Drouet, on s’était pris ensemble des lacrymo le 25 novembre. Mais maintenant, il est dépassé et entre nous, c’est un peu comme Chirac et Balladur », sourit-il. Inquiet des violences, il envisage cependant de ne pas venir à Paris samedi.

Fabrice Schlegel, 45 ans, promoteur immobilier, Dôle (Jura). Il a la voix de Benoît Poelvoorde et revendique d’avoir été l’initiateur du mouvement dans le Jura, même s’il reconnaît que « les barrages se sont tellement radicalisés qu’on vient me défier parce que j’incarne le chef et donc un petit bout d’institution ». A ses yeux, le mouvement est d’abord celui « des gens qui gagnent 3 000 euros à deux et de beaucoup de retraités complètement apolitiques », mais il note lui aussi une « radicalisation » des manifestants.

Electeur de François Fillon au premier tour de la présidentielle (il dit s’être abstenu au second « parce que je ne voterai jamais pour le Front national »), ce petit entrepreneur réclame « plus de justice sociale » mais s’inquiète de voir « des gens en grosses bagnoles se faire insulter ou réclamer qu’on dise son salaire ».

Les demandes de destitution d’Emmanuel Macron et de suppression du Sénat ? « Cela nous décrédibilise ! », tempête-t-il avant de réclamer « la réduction du nombre de parlementaires et l’introduction d’une dose de proportionnelle ». En attendant, il continue de discuter avec les parlementaires et le préfet de son département pour « garder le calme et éviter qu’on ait un mort sur les bras ».

Christophe Chalençon, 52 ans, artisan forgeron, Vaucluse. Candidat aux législatives en 2017 sous l’étiquette divers droite, il s’est fait remarquer en réclamant, le 3 décembre sur Europe 1, « la démission du gouvernement actuel » et l’arrivée à Matignon « d’un homme à poigne comme le général de Villiers ».

Fustigeant « l’oligarchie des énarques », il a lui aussi été écarté par Eric Drouet et a signé l’appel des « gilets jaunes libres ». Défenseur de la ruralité, il dénonce « l’intégrisme musulman, la burqa et ceux de banlieues qui arrivent en fin de manif, parce que le matin, ils dorment… » Bien qu’il soit contesté lorsqu’il affirme représenter les barrages du Vaucluse, il explique qu’il réfléchira « si on vient me chercher pour être candidat aux élections ». En attendant, il explique que « samedi, on va sortir les fourches et la Ve République sera à terre ».

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