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Au nord de Londres, les militants du Labour effarés et meurtris par les accusations d’antisémitisme

Au nord de Londres, les militants du Labour effarés et meurtris par les accusations d’antisémitisme

A North Finchley, circonscription comportant l’électorat juif le plus important du pays, les travaillistes sont durement affectés par un été de polémiques venimeuses.

Luisa Attfield n’a pas 20 ans mais vit déjà un douloureux dilemme. Perchée sur un tabouret haut du pub The Bohemia au cœur de North Finchley, au nord-ouest de Londres, cette étudiante en biologie raconte comment, elle, la jeune juive militante du Parti travailliste, s’est fait régulièrement claquer la porte au nez par des familles juives pendant la récente campagne des élections municipales.

« C’est comme si elles m’avaient demandé de choisir entre être juive et voter Labour. C’est un choix que je ne veux pas faire et que personne ne devrait avoir à faire », lâche-t-elle dans un souffle libérateur. Elle qui a adhéré voici deux ans « parce qu’elle aime ce que représente Jeremy Corbyn » pense que le leader travailliste devrait simplement « parler à des juifs normaux » pour comprendre ce qu’ils ressentent.

Ce mercredi soir, la réunion de la section Labour de « Finchley et Golders Green », la circonscription comportant l’électorat juif le plus important du Royaume-Uni, n’a pas abordé le sujet qui pourrit la vie du parti depuis le début de l’été : les accusations de complaisance envers l’antisémitisme visant Jeremy Corbyn. « Un vrai soulagement, reconnaît Phil Cohen, 69 ans, dont quarante au Labour. On ne parlait plus que de ça depuis deux mois. Nous nous sommes remis à notre tâche normale : représenter les travailleurs. »

A quelques jours du Congrès de Liverpool, la section a voté une motion favorable à un second référendum sur le futur accord Brexit. « Bas salaires, logement, école, et surtout Brexit. Le pays ne manque pas de vrais problèmes et on a perdu du temps pour les traiter », constate le retraité. Irrésistiblement, il revient à l’antisémitisme, le sujet qui le taraude depuis qu’en mai, il a perdu son siège de conseiller municipal de l’arrondissement de Barnet.

Autour des pintes de bières, les militants qui se retrouvent pour un pot d’après-réunion pestent contre « le nuage noir qui flotte sur le parti depuis des mois », selon l’expression de Matthew Staples, le secrétaire de section. Loin de s’apaiser, le traumatisme subi aux municipales n’a fait qu’être relancé par un été entier de polémique venimeuse.

La sanction des électeurs a été terrible
Barnet était « la » municipalité que le Labour, porté par l’inquiétude du Brexit, devait gagner. Le parti y a perdu cinq sièges. « Barnet a payé le prix pour le comportement du Labour sur l’antisémitisme, a résumé Barry Rawlings, responsable local du parti, décrivant un contexte « empoisonné ». Posant en épouvantail « le Labour de Corbyn », les conservateurs ont réussi à mobiliser l’électorat juif. « Voter conservateur, c’est voter pour votre communauté », assénaient leurs tracts.

« A cette époque, sur les médias sociaux, 250 membres du parti [sur 540 000] associaient les juifs ou Israël à une expression ou des images antisémites, accuse Gez Sagar, pilier du Labour à Barnet. La direction du parti aurait dû réagir immédiatement. Elle ne l’a pas fait et les médias, puis les tories, s’en sont emparés. » En 2017 déjà, la plainte adressée aux instances nationales du parti par un militant, visant des tweets ouvertement antisémites d’une autre adhérente locale, était restée lettre morte. Cette dernière n’a été suspendue que lorsque ses agissements ont été rendus publics dans la presse.

« SEULS LES MILITANTS DU LABOUR PEUVENT DÉCIDER DU SORT DE CORBYN, SÛREMENT PAS NÉTANYAHOU »
PHIL COHEN
La sanction des électeurs a été terrible. « Au porte-à-porte, je me suis retrouvée parfois devant des gens en pleurs bredouillant : “J’ai voté Labour toute ma vie. Cette fois, désolé, je ne peux plus” », témoigne Sara Conway, conseillère municipale de Burnt Oak, un quartier de Barnet.

Militante depuis qu’elle est étudiante, elle pense que « le problème existait avant Jeremy Corbyn » mais que l’impasse au Proche-Orient et les médias sociaux ont « exacerbé les divisions ». Juive engagée dans le dialogue avec les musulmans, elle estime que le Labour a « pris la question à l’envers » : au lieu de s’écharper sur une définition de l’antisémitisme finalement adoptée début septembre, le parti et son leader auraient dû « engager le dialogue à la base avec la communauté ».

Les « obsessions » de Corbyn
A Barnet, « nos électeurs sont plutôt désolés qu’en colère », assure Phil Cohen. « Des gens nous crachent dessus », avoue pour sa part Gez Sagar. Sur une section de quelque 2 000 adhérents, il recense une moyenne de cinq démissions par semaine. Ce militant de 56 ans qui se présente comme « d’origine danoise viking, athée et non baptisé » l’affirme : « la majorité des juifs de Barnet a perdu confiance dans le Parti travailliste ».

Est-ce pour cela que Jeremy Corbyn, invité maintes fois à venir engager le dialogue par la section de Finchley et Golders Green, où il cultive un jardin ouvrier, n’a jamais franchi le pas ? « Il a des obsessions comme le Venezuela ou la Palestine dont il ne peut se détacher. Entre la vie de militant et le statut de dirigeant, il y a tout un chemin à parcourir qu’il n’a pas achevé », grince Matthew Staples, président de la section.

Que certains, dans le parti, dans certains milieux juifs et bien sûr dans l’opposition, cherchent à obtenir la tête d’un vieux militant de la cause palestinienne parvenu au seuil de Downing Street, paraît évident.

C’est limpide lorsque, en juillet, la députée travailliste Margaret Hodge déclare que Jeremy Corbyn a « choisi de transformer le Labour en un espace hostile envers les juifs » sous prétexte qu’il est réticent à l’idée d’adopter une définition de l’antisémitisme susceptible d’entraver la libre critique de la politique d’Israël. Ou lorsque en août, l’ancien grand rabbin Jonathan Sacks compare le dirigeant à l’ancien député britannique d’extrême droite raciste Enoch Powell. Ou lorsque le premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou dans un tweet, exprime sa « condamnation sans équivoque » de Jeremy Corbyn, suite à la divulgation d’une vidéo de 2014 où celui-ci dépose une gerbe en mémoire de l’ancien numéro deux de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). « Seuls les militants du Labour peuvent décider du sort de Corbyn, sûrement pas Nétanyahou », fulmine Phil Cohen.

« Restaurer la confiance »
Qu’une minorité de militants défendent des positions extrêmes sur le Proche-Orient fait aussi partie de la réalité. « Certains adhérents récents [encartés depuis la nomination de Corbyn] qui se disent « antisionistes », changent de conversation lorsqu’on les interroge sur le droit d’Israël à exister, témoigne Gez Sagar. Ils font mine d’ignorer que tous nos membres juifs sont opposés à Nétanyahou, à la colonisation et défendent le droit des Palestiniens. »

Mais la stupeur des militants provient de l’incapacité de leur dirigeant à stopper la déferlante. Comme si, à chaque incident, Jeremy Corbyn ravivait les plaies au lieu de les panser. Lorsque l’ancien maire de Londres Ken Livingstone, a affirmé en 2016 qu’Hitler avait soutenu le sionisme dans les années 1930, il a seulement été suspendu du parti et M. Corbyn a exprimé son doute que du racisme puisse exister au Labour.

Longtemps, les accusations d’antisémitisme ont été attribuées par ses amis à un complot de la droite du Labour pour le renverser. Le malaise a repris un an plus tard lorsque le chef du parti a avalisé la décision de ne pas exclure M. Livingston – ce dernier a fini par démissionner en mai 2018 –, qualifiant ses propos de « grossièrement indélicats ». Il s’est amplifié quand a été révélé, en mars 2018, que M. Corbyn avait apporté son soutien en 2012 à l’auteur d’une fresque murale représentant des banquiers dignes de caricatures antisémites. Les « regrets sincères » de l’intéressé ont paru décalés.

C’est seulement en août que le leader a admis que son parti avait un « réel problème » d’antisémitisme et a assuré que « restaurer la confiance » avec la communauté juive était sa priorité. Mais depuis lors, une vidéo l’a montré affirmer en 2013 que les « sionistes (…) ne comprennent pas l’ironie britannique » en dépit du fait « qu’ils vivent dans ce pays depuis très longtemps ». Et lorsque le parti s’est enfin accordé sur une définition de l’antisémitisme destinée à en réprimer l’expression, Jeremy Corbyn a voulu, en vain, ajouter un codicille autorisant à qualifier de « racistes » les circonstances de la fondation d’Israël.

Au Bohemia de North Finchley, on fulmine contre ces « blessures auto infligées », en espérant que le leader trouvera les mots justes au congrès de Liverpool pour « tendre la main » aux juifs. « Il doit changer et il va le faire car c’est un politique », disent les plus confiants. Mais si la polémique se poursuit davantage et que le Labour y reste encore englué pendant des mois, craignent d’autres, « c’est que nous aurons échoué en tant que parti ».

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